Une autre Occupation

 

Yves POURCHER

Trois coupes de champagne

Grasset 237 pages 18 euros

On estime en général qu’il faut s’indigner en racontant l’Occupation. Le roman d’Yves Pourcher nous permet de nous rendre compte qu’il est parfois bien plus efficace, et plus sévère même, de changer de points de vue.

Yves Pourcher nous raconte la guerre et l’occupation avec les yeux et les oreilles d’un mondain. On pourra croire que cette transposition est anodine. Grave erreur, car il se trouve que ce mondain est un des familiers favoris de la belle Betty, mannequin particulièrement intelligente de Schiaparelli et femme d’un ambassadeur de France lancé (qu’il est très facile de reconnaître quand on a étudié de près l’histoire de cette époque).

Notre héros va donc vivre toutes les intrigues de ces années, les manœuvres de Laval contre les nationalistes qui chambraient le maréchal ; il va à Moscou, avec l’ambassadeur, puis à Ankara, grand centre de l’espionnage américain, soviétique et allemand (Von Papen, l’ambassadeur allemand, étant lui-même réticent envers Goebbels et le parti). Car la grande « copine » de Betty est Josée de Chambrun, fille de Laval, épouse du naïf Chambrun (lui-même franco-américain, descendant de Lafayette) et parente de Gilbert de Chambrun, futur député cryptocommuniste.

Tout cela est évidemment très intéressant, M. Pourcher, d’une érudition colossale, lui-même historien des milieux dirigeants et bourgeois du Massif central. On ne relève donc aucune faute dans son récit. Mieux, il a étudié tous les avatars de la mode (exceptionnellement brillante malgré la rareté des tissus) pendant ces quatre ans. Nous la découvrons, et redécouvrons, en le lisant. Il fait œuvre de véritable moraliste. L’étrange personnalité de Josée Laval apparait en pleine lumière : cette femme, pourtant élevée par sa mère dans les sentiments chrétiens, semble privée de toute forme de vraie pitié et de sentiment, sauf pour son père, qu’elle adorait. Sous ses yeux, la guerre civile et le massacre des innocents la laissent indifférente. En pleine insurrection, elle ne pense qu’à ses toilettes et à ses bijoux. M. Pourcher, qui a étudié et analysé son journal intime, n’écrit pas à la légère (malheureusement).

Cependant, on reste toujours dans le roman ; M. Pourcher, en vrai romancier, n’émet aucun jugement. Son sujet est existentiel, la futilité. Ce coup de projecteur est bien plus efficace que l’indignation, car il nous fait nous retourner sur nous-mêmes. Qu’en est-il donc de l’homme ? Quand on lit les souvenirs de Philippe Erlanger, grand fonctionnaire et si peu juif qu’il ne connaissait même pas la religion de son grand-père, quand on voit ses amis de toujours changer de trottoir pour ne pas lui serrer au moins la main, quand on se souvient d’Alfred Cortot, le plus grand pianiste du monde, dénonçant son ami intime Georges Huisman, on a une triste opinion de l’humanité ; car là, ce n’est même pas la peur de l’occupant qui est la cause de cette attitude. Avoir vu cela m’évitera d’être humaniste.

Le livre de M. Pourcher reste une œuvre littéraire et on y trouve aucun prêche. C’est même une des plus remarquables « fictions » (puisque le personnage principal n’a jamais existé) que j’aie lu depuis longtemps. Bien entendu, les jurys littéraires ne l’ont même pas remarqué.

Jean José Marchand

 

 

 

.

 

Accueil - Journal de lecture - mentions légales - contact