Jean José Marchand en 1955

 

Jean José Marchand

 

La poésie en elle-même 

 

L’idée de La Vie aux frontières du poème (dont je n’ai trouvé le titre qu’en 1954) m’est venue vers 1944 en pensant au moment précis où le texte, la phrase ou le vers réagit sur lui-même pour acquérir une force poétique. La mode surréaliste (qui prolongeait un certain aspect du romantisme, puis du symbolisme) était de dire que la poésie était une question d’images (le « stupéfiant images » disait Aragon). Cela ne me satisfaisait pas ; je voyais bien que le frisson poétique venait se poser sur des phrases en apparence plates. Exemple :

 

Pleurant comme Diane au bord de ses fontaines
Ton amour taciturne et toujours menacé.
                                                           Alfred de Vigny 

 

Parfois la poésie surgit au milieu d’une plaisanterie :
Le ciel s’est habillé ce soir en Scaramouche
                                                           Molière
(mais là on peut prétendre qu’il y a image) 

 

Racine abonde en sommets poétiques dus au travail alchimique du style.
Ainsi :
Mais tout dort, et l’armée, et les vents, et Neptune
                                                           (Iphigénie)
que l’on peut prendre pour une simple énumération,  

 

ou encore le célèbre :
Et je me trouvai seul errant dans Césarée
Lieux charmants où mon cœur vous avait adorée
                                                           (Bérénice)

 

Plus mystérieux encore :
La fille de Minos et de Pasiphaé
                                               (Phèdre) 

 

Et même la vieille chanson royaliste :
Orléans, Beaugency,
Notre Dame de Cléry
Vendôme, Vendôme.
                                   (signalé par l’abbé Brémond) 

 

L’idée me vint alors d’essayer de réaliser l’ « opéra poétique » inventé par Mallarmé, où il n’y aurait ni idée ni sentiment ni métaphore. Uniquement composé de vers « incantatoires » 

C’est le début de La Vie aux frontières du poème. 

Mais je ne pouvais, ayant renoncé même à la syntaxe, aller plus loin. Je revins à une « poésie syntaxique » sans images. Puis je sentis que la poésie s’éloignait de moi. 

En 1968, je rencontrai Dominique de Roux et Denis Roche ; ils me dirent que Breton (qui m’avait encouragé) avait raison, qu’il fallait forcer le passage. J’écrivis à nouveau quelques montages poétiques. Puis cette veine s’épuisa. Ensuite je n’ai plus produit que de courts poèmes au hasard des jours. 

La poésie, m’a dit Borges, c’est une intonation. Je n’ai pas trouvé de meilleure définition.

 

 

 

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